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Ludovic Trarieux
" Sans entendre, on n'a pas le droit de juger. "
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Avocat à vingt et un ans, Ludovic Trarieux, né le 30 novembre 1840, à Aubeterre (Charente), s'inscrivit au Barreau de Bordeaux en 1862 et y exerça jusqu'en 1881. Il y fut élu Bâtonnier de l’Ordre, à trente-sept ans, en 1877. Républicain intransigeant, conseiller municipal de Bordeaux, il fut élu, le 6 avril 1879, député de la Gironde à l'assemblée nationale. Inscrit au groupe de la gauche républicaine, il se fit remarquer, malgré la brièveté de son passage (1879-1881), par ses nombreuses interventions. Il approuva le projet de loi sur la liberté de l'enseignement supérieur, tout en soutenant divers amendements, vota pour l'invalidation de l'élection d'Auguste Blanqui et contre l'amnistie plénière des faits relatifs à la Commune. Enfin, dans le débat sur le statut des syndicats professionnels (qui ne sera finalement voté qu'en 1884), il intervint pour réclamer des cautions et des garanties. Battu au renouvellement de 1881, il décida alors de s'inscrire au Barreau de Paris pour y poursuivre sa carrière politique : " J’ai sacrifié mes intérêts immédiats et pratiques à une destinée qui reste pleine d'obscurité ", écrira-t-il. |
C’est au Sénat qu’il devait faire l’essentiel de sa carrière politique. Elu sénateur de la Gironde, le 5 janvier 1888, puis réélu en 1897, il devait y siéger jusqu'à sa mort. Membre de la gauche républicaine et bientôt président du groupe du Centre gauche (groupe le plus modéré de la haute assemblée) il adopta des positions très conservatrices dans les débats sur les lois sociales (modification de l'article 1780 concernant le louage de services, arbitrage entre patrons et ouvriers, travail des femmes et enfants mineurs), et fit rejeter, sur son rapport, le projet de modification de la loi sur les syndicats professionnels. Il se distingua, surtout en 1893 et 1894, comme rapporteur au vote de trois des quatre lois visant à la répression des attentats anarchistes (les fameuses "lois scélérates "). Toutefois, il a lutté énergiquement contre un amendement qui visait à transférer aux Conseils de guerre les infractions en matière de détention d'explosifs dont la répression était aggravée, car il n'acceptait pas de dessaisir les tribunaux de droit commun. De même, aida-t-il, le 28 mai 1897, au vote de la loi qui mit fin à l'instruction secrète hors de la présence d'un avocat, et réclama-t-il l'institution d'une expertise contradictoire en matière criminelle et correctionnelle. En 1889, il fut choisi par ses pairs du Sénat pour être membre de la Commission des Neuf chargée de l'instruction du procès contre le Général Boulanger.
Le 26 janvier 1885, il devint Ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Là, il fit voter une loi qui permettait d'ouvrir plus largement les cas de révision des condamnations pénales et permettait d'assurer plus commodément la réparation du préjudice subi par les victimes d'erreur judiciaire et se trouva confronté involontairement à un "évênement de justice " qui, à cette date, venait de secouer la France : le capitaine Alfred Dreyfus venait d’être condamné pour trahison Vingt et un jours plus tôt, par une journée glacée, il avait été dégradé et il attendait à l’Ile de Ré depuis le 18 janvier son transport vers l'Ile du Diable. Or, depuis son procès en 1894, Dreyfus n'avait cessé de clamer son innocence. Sa condamnation avait été prononcée à huit clos, à l'aide de pièces secrètes fausses non communiquées à la défense. . Bien peu de gens étaient convaincus de l'innocence de Dreyfus. Le dossier judiciaire était clos et il n'y avait pas encore d’ "affaire Dreyfus ". ( Chronologie).
Tandis qu’il était Garde des Sceaux, Trarieux a obtenu la communication des exemplaires de l’écriture de Dreyfus et eu la révélation des dissemblances entre l’écriture du condamné et celle de l’auteur de la pièce qui fondait sa culpabilité. En outre un des avocats de Dreyfus, Me Demange était venu lui révéler qu’une pièce secrète avait été communiquée au Conseil de Guerre à l’insu de la défense. " Une monstruosité ! " dira-t-il.
C’est ainsi qu’après son départ de la Chancellerie, (le 10 novembre 1895), ayant acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, Trarieux a sacrifié sa profession et sa carrière politique pour devenir l’inlassable défenseur de l’innocence du capitaine. Le 7 décembre 1897, il fut le seul des sénateurs à soutenir Scheurer-Kestner, et à faire l'éloge du courage civique de l'interpellateur.
A la veille du procès d’Esterhazy, dont il avait acquis la certitude de la culpabilité, il publiait le 8 janvier 1898, dans Le Temps une lettre ouverte au Ministre de la Guerre, Billot, pour dénoncer "le simulacre de justice " qui se préparait.
" Est-il vrai qu'au cours de l'année 1896 le Lieutenant Colonel Picquart, chef du Bureau des Renseignements, ait été appelé à étudier contre un officier supérieur aujourd'hui encore, une affaire d'espionnage ?
" Est-il vrai, que frappé de la ressemblance de l'écriture avec le bordereau attribué en 1894 à Dreyfus, il ait connu la pensée qu'une erreur pût être commise au préjudice de ce dernier ?
" Est-il vrai qu'il en ait parlé à ses chefs, et que le sous-chef d'Etat Major, le Général Gonse, ne l'ait pas ignoré, et que vous l'ayez su vous-même ? " etc...
Esterhazy a été acquitté et six jours plus tard, le 13 janvier 1898, Émile Zola publiait, dans l'Aurore, le journal de Clemenceau, son " J’ACCUSE, lettre ouverte au Président de la République ", ce qui lui valu d’être renvoyé devant la Cour d'assises pour diffamation.
Au procès Zola, Trarieux fut un témoin essentiel pour la défense, comme il le fut plus tard au procès de Rennes. Relatant les témoignages qu'il avait recueillis, révélant les constations qu'il a pu faire sur des pièces essentielles ou expliquant comment il avait acquis sa certitude de la culpabilité d'Esterhazy, il fut au premier rang de ceux qui pénétrèrent au cœur même de l’innocence de Dreyfus en apportant en outre devant la juridiction la caution d'un ancien Garde des Sceaux.
Ce soir là, sa mission change de dimension et de nature. Parce qu’il a "entendu les clameurs retentissantes de "A bas et à mort les juifs" " et après que les Généraux de Boisdeffre et de Pellieux aient brandi la " pièce massue " - qui devait plus tard se révéler être le "faux d’Henry "- Trarieux eut l’idée, entre deux séances du procès Zola, le 17 ou le 18 février, lors de la dixième ou de la onzième audience, de créer la Ligue française pour la Défense des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Le 20 février 1898, une première réunion eut lieu à son domicile, 4 de rue de Logelbach. Après plusieurs mois d'activité inlassable, ayant réuni un millier d'adhésions, Ludovic Trarieux et ses amis convoquèrent une assemblée générale, dans la salle des Sociétés Savantes, à Paris.
C'est là que, le 4 juin 1898, se constitua définitivement la Ligue française pour la Défense des Droits de l'Homme et du Citoyen, dont Trarieux fut acclamé Président et chargé de rédiger les statuts. Le 4 juillet 1898, le premier manifeste de la Ligue des Droits de l'Homme proclamait : A partir de ce jour, toute personne dont la liberté serait menacée ou dont le droit serait violé est assurée de trouver auprès de nous aide et assistance
Le 20 août 1898, après l'arrestation humiliante, sur ordre du ministre de la Guerre Cavaignac, du Colonel Picquart, "coupable - d'avoir dénoncé le "faux d’Henry ", Trarieux écrivait une nouvelle lettre ouverte à Cavaignac, diffusée à 400 000 exemplaires dans toute la France, où il rappelait avec sérénité : " Il n'y a pas de jugement réel sans défense quand on ignore ce dont on est accusé... Sans entendre, on n'a pas le droit de juger ".
Cavaignac devait démissionner le 5 septembre 1898 et presque un an jour pour jour après la constitution de la Ligue des Droits de l'Homme, le 3 juin 1899, la Cour de cassation cassait le jugement Dreyfus de 1894 et renvoyait l'affaire devant le Conseil de guerre de Rennes.
Témoin au procès, de Rennes qui se tint du 7 août au 9 septembre 1899, Ludovic Trarieux justifia ce commentaire de Victor Basch, qui fut le troisième Président de la Ligue des Droits de l'Homme (1927).
: " J'ai entendu bien des grands orateurs, je n'ai jamais entendu un discours comme celui-là. Tout ce qu'une âme haute peut contenir d'indignation passionnée, tout ce qu'une âme vraiment humaine peut contenir de tendresse fraternelle, tout ce qu'un esprit bien fait peut contenir de logique, Ludovic Trarieux le révéla dans son discours. Jaurès, qui l'écoutait à côté de moi, dit : " C'est la plus haute manifestation oratoire à laquelle j’ai jamais assisté ".
Tout en diminuant la peine, le Conseil de guerre de Rennes n'en condamna pas moins à nouveau Dreyfus. " Notre défaite est de celles qui ne découragent point, mais qui ne grandissent pas seulement le courage, qui grandissent les situations " commenta Ludovic Trarieux qui, au nom de la justice, s’opposa au Sénat, à la grâce de Dreyfus pour raison de santé prononcée par le Président Loubet, en septembre 1899, ainsi qu’à l’amnistie générale proposée, en juin 1900, par le gouvernement Waldeck-Rousseau, au nom de l'apaisement.
Parallèlement, il continua de développer la Ligue des Droits de l'Homme, qui compta rapidement plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Epuisé par ses efforts et rongé par la maladie, il dut, en 1903, laisser la présidence de la Ligue des Droits de l'Homme à son ami Francis de Pressensé. Jusqu'à sa mort, il consacra ses derniers efforts à la réhabilitation de Dreyfus, (qu’il ne devait pas connaître puisqu’elle intervint par l'arrêt de cassation du 12 juillet 1906) et à la défense des droits de l'homme. Il mourut le 13 mars 1904 dans son appartement parisien du 4, rue de Logelbach. " Une admirable conscience s'est éteinte " notera, à cette date, Dreyfus dans ses " Carnets ". Texte extrait de : Bertrand Favreau "Le droit, la Justice, l'humanité". |
Monument à la mémoire de Ludovic Trarieux, Place Denfert-Rochereau, à Paris.
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Le Monument à Ludovic Trarieux - Palais de Justice de Bordeaux (1984)
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En 1983, ceux qui devaient être les membres fondateurs de l'IDHBB ont pris l'initiative de lancer une souscription en vue de faire édifier au sein du Palais de Justice de Bordeaux, un monument dédié à Ludovic Trarieux, qui était depuis sa mort quatre-vingts ans plus tôt, oublié à Bordeaux. Outre le résultat de souscription, l'érection du monument a été rendue possible grâce à une dotation complémentaire de l'Ordre des Avocats en 1984 et à la générosité du sculpteur Pierre Lagénie qui a accepté de modeler les traits de Ludovic Trarieux dans son atelier de La Varenne Saint Hilaire, près de Paris et d'en réaliser la fonte à la cire perdue.Le buste de bronze a été complété par des parements de marbre. Une réplique en plâtre a été offerte, en 1988, par l'IDHBB au siège parisien de la Ligue des Droits de l'Homme où elle orne le bureau du Président. |
Le 2 mars 1984, à l'occasion de la création de l'IDHBB, le garde des sceaux, Robert Badinter, a inauguré le monument à Ludovic Trarieux. Outre Robert Badinter, Daniel Mayer, président du Conseil Constitutionnel, Roland Dumas, Ministre des affaires européennes, Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, le président de la Cour de Justice des Communautés européennes représenté par M. Marco Darmon ont participé à l'inauguration. Le monument a été installé sur le palier donnant accès aux salons de l'Ordre dont il accueille les visiteurs. |
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